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Daniel Poulin, Marc Tremblay et Serge Parisien[*]
Une brève description de l'EDI (Electronic Data Interchange) commercial "traditionnel" illustre le type de transactions et de bénéfices cherchés pour le monde juridique. En contexte commercial, l'EDI permet le transfert des informations commerciales d'un ordinateur à l'autre sous forme de messages strictement normalisés. Les partenaires commerciaux souhaitant établir ce type d'échange établissent au préalable une convention d'EDI, puis au moyen de réseaux spécialisés ou, depuis peu, par le biais de réseaux publics et ouverts, ils s'échangent des messages préparés en conformité à l'une des normes d'EDI disponibles, EDIFACT ou ANSI X.12.
Les avantages économiques et de gestion découlant de l'utilisation des nouvelles technologies d'échange de données informatisées dans le commerce sont désormais bien connus : rapidité et qualité des communications, réduction de la paperasse, meilleure gestion, etc. Il n'est donc pas surprenant de constater qu'au Canada, le nombre d'entreprises qui utilisent l'EDI connaisse une croissance remarquable. Des géants de différentes industries comme Provigo, General Motors du Canada, La Baie et Sears, pour ne nommer que ceux-là, s'y sont déjà convertis. Au Québec, plus de 1500 entreprises utilisent actuellement l'EDI, et ce nombre s'accroît de façon exponentielle. Néanmoins, les avantages découlant de l'implantation de mécanismes de transactions électroniques en droit restent singulièrement méconnus au Québec.
En effet, malgré l'utilisation croissante de l'informatique pour les fins de l'administration judiciaire, malgré une informatisation encore plus importante des firmes d'avocats, sans rien dire de celle des bureaux d'huissiers, l'échange électronique des documents, pourtant créés partout à l'aide d'ordinateurs, se fait toujours attendre. En effet, l'information juridique sur support électronique, pourtant si facile à réutiliser dans sa forme première, est imprimée sur papier, puis expédiée sous enveloppe à un autre intervenant qui devra bien souvent la ressaisir sur son ordinateur, avec les risques d'erreurs que cela comporte. Il est certain que la mise en oeuvre d'échanges électroniques en contexte juridique présente des défis absents dans l'univers commercial. Il faut en particulier prendre en compte la nature souvent litigieuse des relations entre les divers partenaires juridiques. Les solutions élaborées doivent donc prévoir des cadres offrant toutes les garanties quant à la protection des divers intérêts dans un contexte où le désaccord est inhérent. Le cadre élaboré doit également ménager l'espace informationnel nécessaire pour permettre la circulation de documents structurés beaucoup plus librement que ceux échangés en contexte commercial. L'échange électronique d'informations juridiques impose donc à la fois une plus grande sécurité au plan transactionnel et une plus grande souplesse au plan des contenus.
Dans ce contexte, nous pourrions définir l'échange informatisé d'informations juridiques (EEDIJ) comme le fait d'échanger d'ordinateur à ordinateur, entre personnes juridiques, des documents de nature officielle. Nous souhaitons par ces termes généraux marquer une certaine distance face à l'EDI tel qu'il a été conçu pour la conduite des affaires commerciales. En effet, il ne nous apparaît pas opportun de concevoir l'échange électronique de données juridiques comme un prolongement "naturel" de l'EDI commercial. Nous verrons plus loin que d'autres normes d'échange, comme le SGML (Standard Generalized Mark-up Language, ISO-8879), peuvent permettre la modélisation des messages circulant entre les partenaires. L'utilisation du terme EEDIJ vise à inclure un plus grand nombre de type d'échange, notamment ceux utilisant le SGML[1].
Au moment où semble naître au Québec une volonté d'introduire l'échange électronique d'informations juridiques et où s'amorcent divers projets, l'étude des expériences étrangères prend une importance considérable. Divers modèles nous sont proposés[2]. Dans certains États américains, des entreprises commerciales ont été chargées de la gestion des informations électroniques liées à d'importants litiges; ailleurs des solutions s'appuyant sur la mise en oeuvre de formulaires électroniques ont été élaborées; ailleurs encore, se sont les instances judiciaires elles-mêmes qui ont pris en charge ce rôle qui est au fond celui qu'elles assument depuis fort longtemps. Si le maître d'oeuvre et la technologie employée diffèrent, toutes ces expériences partagent l'objectif de réduire le coût de l'administration de la justice, tout en augmentant la qualité des services. Une courte description de ces explorations s'impose.
Cet exposé demeurerait incomplet si les principaux projets québécois n'étaient pas à leur tour examinés. Nous examinerons donc le projet de la métropole québécoise visant la gestion électronique des constats d'infractions, celui de la Chambre des notaires et de ses partenaires dans le domaine du droit immobilier résidentiel et enfin, celui d'une importante firme d'huissiers.
L'étude des expériences étrangères et québécoises nous amène évidemment à nous interroger sur les conditions de mise en oeuvre d'une forme plus poussée d'EEDIJ au Québec. Les bénéfices pouvant découler de l'EEDIJ ne peuvent être obtenus sans la mise en place d'un cadre juridique et technique adéquat. En conséquence, une brève analyse des aspects juridiques de l'échange d'informations juridiques précède une dernière partie portant sur deux aspects techniques qui nous semblent fondamentaux en ce qui a trait la mise en oeuvre de l'EEDIJ. Nous traiterons donc de la signature électronique pour ensuite aborder la description d'une norme d'échange documentaire qui nous semble particulièrement appropriée aux exigences de l'échange d'information en milieu juridique, soit le SGML.
À cette époque, l'arrivée d'une série d'importantes poursuites en matière de couverture d'assurance suite à des problèmes environnementaux pose un défi nouveau à la Delaware Superior Court. Ces litiges ont une envergure inédite pour cette cour. Leur importance tient à de multiples facteurs; à l'ampleur des sommes en jeu, parfois plusieurs milliards de dollars; au nombre d'assureurs impliqués, plusieurs dizaines; au nombre de polices d'assurances, souvent des centaines et enfin à la période à considérer, les événements à prendre en compte s'étant déroulés sur des dizaines de sites au cours d'une période pouvant aller dans certains cas jusqu'à cinquante ans. Par exemple, dans une de ces affaires impliquant la compagnie Mosanto, plus de 5 500 actes de procédures ont été enregistrés avant même que l'affaire soit entendue. Certains d'entre eux faisaient plus de trente centimètres d'épaisseur. Au total, plus de 10 millions de pages se sont accumulées avant même le début du procès. Voilà le type de problème que CLAD devait aider à solutionner.
Un système de gestion de ces litiges devait être mis en place. Un appel d'offres de service fut lancé et il comportait deux importantes conditions. Le système à mettre en place ne devait rien coûter à la Delaware Superior Court et les documents imprimés devaient être de bonne qualité. La première condition se comprend bien étant donné le climat d'austérité qui prévaut dans la plupart des administration publiques d'Amérique du Nord. Quant à la seconde, il faut avoir consulté les produits documentaires juridiques commerciaux courants pour en apprécier l'importance. Les documents traditionnellement reçus dans ces systèmes s'apparentent davantage à des listings d'ordinateur qu'à des actes de procédure de facture traditionnelle.
C'est la Mead Data's Private Database Division qui a obtenu le contrat pour le développement et la gestion du système CLAD. Le système autorise l'envoi par modem (chez Mead Data) d'un acte de procédure en format WordPerfect. À son arrivée, chaque document se voit attribuer un identificateur (Docket number). Il n'y a cependant pas de signification du document reçu aux autres parties intéressées. En lieu et place, une note de dépôt électronique (Notice of electronic filing - NEF), essentiellement un bordereau des informations sommaires de l'acte de procédure, est expédiée aux avocats du Delaware impliqués dans l'affaire. Ceux-ci peuvent alors, moyennant paiement, se procurer électroniquement le document en accédant aux ordinateurs de Mead Data.
Selon les porte-parole de la Delaware Superior Court, le système procure de nombreux avantages. Les juges et les parties disposent dorénavant d'un accès immédiat aux pièces et cela tant sur écran que sur papier. Cet accès à distance prend tout son intérêt lorsque l'on sait que ces juges peuvent être appelés à siéger dans trois villes différentes du Delaware. Tout aussi important, la mise en place du système a permis d'éviter la création de divers postes administratifs et a même réduit les coûts de gestion de la Cour. En fait, le CLAD a eu pour effet de déplacer une partie du travail de gestion du greffe vers les avocats et Mead Data.
Cependant, ce système ne s'est pas mérité que des éloges. Les avocats des parties impliquées de façon incidente dans les litiges gérés avec CLAD font remarquer qu'il est inéquitable que leur client doive utiliser les services de Mead Data simplement pour s'informer du contenu des diverses pièces versées au dossier. En effet, les seuls documents que reçoivent ces avocats sont les NEF, des résumés fort sommaires, moins d'une page, qui n'indiquent que le titre des documents ajoutés au dossier. La seule possibilité d'en prendre connaissance est de les télédécharger depuis les ordinateurs de Mead Data, et il en coûte alors environ un dollar la page. Compte tenu de la taille des corpus impliqués on comprendra que l'utilisation de CLAD peut devenir fort onéreuse.
Il y a également lieu de relever certaines autres limites du système. En réalité, CLAD consiste bien davantage en une délégation de l'inscription au greffe et de l'entreposage de documents électroniques que d'un passage aux transactions électroniques. Un système de ce genre contribue fort peu à l'automatisation du traitement des informations. En d'autres termes, il s'agit bien davantage d'un échange de documents dématérialisés que de transactions électroniques[4].
L'intérêt de mettre à profit l'échange des documents électroniques est apparu récemment à la Snake River Basin Adjudication - District Court (SRBA) Cependant, pour la SRBA, l'envoi des réclamations sous forme de fichiers de traitement de texte la priverait d'une bonne partie des bénéfices pouvant découler de la mise en place d'une procédure électronique[6]. L'administration de la Cour s'est plutôt mise à la recherche d'une solution qui permettrait d'automatiser la gestion des dossiers une fois qu'ils leur auraient été envoyés. La solution retenue repose sur l'utilisation de formulaires électroniques expédiés depuis des micro ordinateurs par lignes téléphoniques[7].
La préparation d'une requête suppose l'acquisition d'un logiciel peu coûteux, c'est-à-dire de moins de $ 200. L'utilisateur n'a qu'à choisir dans un menu un des trois formulaires disponibles, par exemple, celui servant à initier une requête. Par la suite, l'usager remplit les cases, tout en bénéficiant pour ce faire d'aide en ligne et de procédures de validations capables d'intercepter certaines erreurs simples. En tout temps, le formulaire peut être sauvegardé, que ce soit pour des fins d'archivage ou pour être révisé ultérieurement. Au moment voulu, l'utilisateur signe graphiquement la requête et l'expédie au moyen du logiciel de télécommunication. Selon les exigences de la SRBA, le requérant conserve une version originale enregistrée de chaque formulaire qui lui est envoyé[8].
Une fois parvenu à la cour, le formulaire est pris en charge par les diverses procédures informatiques conçues pour relayer son contenu informationnel au système d'aide à la gestion des litiges. En fait, à son arrivée, le formulaire est automatiquement acheminé à un fonctionnaire chargé de l'examiner et, selon le cas, d'en accepter le dépôt ou de le refuser. S'il l'accepte, un timbre électronique est ajouté au formulaire et il est sauvé dans la base de données de la Cour. Dès lors, l'information contenue dans le formulaire est verrouillée et ne peut plus être altérée. Par ailleurs, d'autres procédures informatiques se chargent de relayer certaines des informations du formulaire au système d'aide à la gestion des litiges de la SRBA pour des fins administrative. La SRBA prévoit qu'au cours des dix prochaines années plus de 20 000 formulaires de ce type lui parviendront.
De toute évidence, le système d'échange conçu pour la SRBA constitue une solution pratique à un problème particulier. Ceci dit, la solution retenue par la SRBA semble facilement adaptable à de nombreuses situations où les requérants sont nombreux et les litiges marqués d'une forte ressemblance. Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il y a là un risque que se développent en parallèle une multitude de solutions particulières qui, si elles apparaissent individuellement satisfaisantes, créent globalement une tour de Babel pour les tribunaux et les autres intervenants du monde juridique. En effet, si chaque cour fait ses propres choix technologiques, sans qu'une concertation permette l'établissement de normes plus générales d'échange, il y a lieu de craindre que la multiplication des modes de communication et des types de documents interdise de réaliser une bonne part des économies qui motivent l'exploration de voies d'échange électronique pour les informations juridiques.
Trois paradigmes d'échanges dématérialisées ont été évalués par l'équipe du Utah Administrative Office of the Courts : l'imagerie électronique, l'EDI et le SGML. La comparaison faite entre ces approches s'appuie sur la constatation que les actes de procédure sont avant tout des documents en langue naturelle, même s'ils ne sont pas dépourvus d'éléments formels assimilables à des données. Selon Alan Asay, le principal concepteur de la solution retenue en Utah, à bien des égards, l'utilisation de la seul portion formelle de ces documents ne permet pas de rendre compte de la substance des actes de procédure échangés. Ces données plus formelles ne constituent qu'une infrastructure informationnelle permettant la gestion des pièces.
Asay identifie quatre attributs essentiels d'un système permettant la conduite de transactions électroniques avec les instances judiciaires. Tout d'abord, l'acte de procédure doit être traité comme un assemblage de documents textuels ("a compendium of written, full-text documents"). En deuxième lieu, un tel système doit permettre aux parties de transférer ces pièces à la cour, car en définitive, ils sont les auteurs d'une grande partie des documents échangés. Il faut troisièmement que le système soit complètement protégé contre les intrusions et les falsifications. Enfin, la preuve de l'authenticité de l'ensemble et des assemblages de documents doit être assurée; sans quoi, selon Asay, les échanges seront dépourvus de leurs effets juridiques et le tout se résumera à une immense perte de temps.
Dans ce contexte, une approche mettant à profit les techniques d'imagerie électronique a été considérée mais rapidement rejetée. Rappelons de façon sommaire que ces techniques d'imagerie ont pour objet de saisir l'"image" des pages papier et de les emmagasiner sur support électronique. Cette approche ne peut procurer que des bénéfices limités. En effet, l'image du document ne peut être efficacement utilisée sur ordinateur à moins d'être transformé à nouveau en texte électronique[10]. En particulier, de tels documents sont de peu d'utilité pour améliorer le fonctionnement administratif d'un tribunal[11]. Il faut également noter que l'image électronique des documents est encombrante et son stockage, s'il est moins coûteux que celui des documents papier, exige des espaces considérables sur les disques d'un ordinateur. Enfin, et c'est le principal problème, le recours à l'imagerie suppose toujours la préparation de documents papier à être éventuellement saisis et, pour cette raison même, il ne s'agit pas vraiment d'une solution propre à éliminer les problèmes liés à l'archivage des documents papier.
La seconde approche évaluée par le Utah Administrative Office of the Courts fut l'EDI. C'était même, selon Asay, le choix initial de l'Office. Il était prévu que les parties préparent pour dépôt à la cour un message d'EDI selon une norme à établir et que ce message constituerait la page couverture du document électronique. Cette approche d'EDI fut finalement rejetée. Pour Asay, l'EDI, conçu dans un monde où les données sont formelles et s'apparentent à des enregistrements de bases de données, ignore le document qui lui est, en quelque sorte, étranger. Asay estime qu'en dépit du fait qu'il soit possible d'utiliser un message d'EDI comme un bordereau du document et qu'ainsi ce message d'EDI facilite le cheminement du document, l'EDI n'est d'aucune aide pour faciliter l'échange et la réutilisation des documents eux-mêmes entre les divers systèmes et ordinateurs, que ce soit à la cour ou chez les parties. C'est dire que l'EDI n'offre aucun outil pour traiter la dimension documentaire de l'échange électronique des informations juridiques. Pour cette raison, la solution retenue en Utah s'appuie plutôt sur le SGML[12].
Dans un environnement basé sur le SGML, les parties préparent leurs documents et les balisent à l'aide du SGML, plus précisément à l'aide d'un modèle normalisé de document[13]. Ensuite, l'avocat signe électroniquement le document SGML[14]. Dès lors, le document peut être envoyé à la Cour par le biais de l'Internet. À l'arrivée du document à la Cour, le programme de réception lui attribue un identificateur numérique unique et l'archive sur un support électronique inaltérable de type WORM[15]. Par la suite, cette copie permettra de faire la preuve de ce qui a effectivement été reçu. Subséquemment à cet archivage, le message reçu est décodé et les programmes de réception s'assurent que le message est bien lisible. Ultérieurement, diverses extractions de données sont menées pour les fins du système de gestion des dossiers et le document est traité pour son insertion dans la base documentaire[16]. Puis, après une vérification automatique du contenu de certains champs devant contenir des données nécessaires au traitement du dossier, un message d'accusé réception est préparé et envoyé à l'expéditeur initial. Ce message comprend notamment une copie du document et est éventuellement complété de certaines informations provenant de la Cour, comme, par exemple, un numéro de dossier et des informations relatives à l'assignation d'un juge à l'affaire. Notons enfin qu'une fois le document ajouté à la base documentaire, il peut être consulté soit du réseau local de la Cour ou encore via l'Internet.
Globalement, et dans la mesure où on peut se prononcer sur un projet qui reste toujours à finaliser, l'approche retenue par l'Utah semble comporter de nombreux avantages. En tout premier lieu, elle s'organise autour du document, ce qui apparaît plus respectueux des formes traditionnelles d'échange en droit. C'est le recours au SGML qui permet à la fois cette prise en compte du document et l'établissement de normes d'échange. De plus, le recours aux réseaux ouverts, en l'occurrence l'Internet, facilite et réduit considérablement le coût des transactions. Les techniques d'échange sécuritaires sur réseaux ouverts sont maintenant suffisamment bien connues pour que l'on puisse procéder ainsi en toute sécurité[17]. Comme nous l'avons souligné auparavant, le projet est toujours à l'étape expérimentale, mais la direction nous semble être la bonne[18].
Il y a d'abord le problème bien connu lié aux nombreuses ressaisies des informations qui peuvent être source d'erreurs de transcription. Au plan de la gestion, la nécessaire production des divers documents papier ralentit les processus. Enfin, le fonctionnement sur papier interdit l'accès efficace à l'information. Ainsi, lorsque le contribuable souhaite vérifier depuis les bureaux de quartier d'Accès Montréal (BAM) l'état de son dossier, les pièces doivent y être acheminées. Au même moment, le juge, le greffier, l'huissier, le percepteur peuvent avoir eux aussi besoin d'accéder aux mêmes documents. Dans le monde papier, chacun doit attendre son tour. Il s'en suit une perte énorme de temps.
Pour pallier ce problème, la Ville de Montréal a élaboré une stratégie en deux temps. Tout d'abord, un projet visant à gérer les contreventions papier traditionnelles par des techniques d'imagerie sera mis en place au milieu de 1996. Ce premier pas solutionnera une bonne partie des problèmes actuels de circulation de l'information. Par la suite, dans une seconde phase, il est prévu que le document électronique supplante complètement le papier. Il s'agira alors de substituer le constat électronique au constat papier. Le document électronique, qui ne sera imprimé qu'au besoin, pourra être produit en preuve.
Au cours de la première phase, les contraventions traditionnelles, c'est-à-dire, celles qui sont remises aux contrevenants sur papier, seront produites de façon traditionnelle mais seront par la suite systématiquement numérisés. Ces images seront rendues accessibles à l'ensemble des intervenants municipaux devant assurer le cheminement des dossiers. Par la suite, il est prévu que les plaidoyers fassent eux aussi l'objet d'une numérisation.
Lorsque cette première phase sera complétée, il sera par exemple possible pour un citoyen de prendre connaissance des pièces liées à ce type d'infraction depuis un des BAM. Au même moment, l'information demeurera disponible à tous les autres intervenants impliqués dans le dossier. Plus important encore, l'image du constat ou du plaidoyer pourra être utilisée à toutes les étapes de la procédure, notamment lors du jugement.
Lors de la deuxième étape du projet, le constat d'infraction sera préparé par le préposé à l'aide d'un micro-ordinateur et une copie papier sera produite pour être placée sur le véhicule du contrevenant. Dès lors, les données inscrites au fichier électronique constitueront le véritable constat électronique. Il ne s'agira plus de l'utilisation de la seule image électronique d'un constat préparé sur papier. En fait, la relation entre le papier et le fichier électronique aura été renversée, le papier ne jouant plus qu'un rôle accessoire. Il va sans dire que ce passage à l'électronique entraînera des bénéfices considérables au plan administratif.
On estime, à la ville de Montréal, qu'il sera par exemple possible de réduire considérablement le rôle du greffier. Il est prévu que le juge spécialisé en la matière dispose d'un poste de travail lui permettant de consulter les dossiers devant être traités et qu'il y ajoute au moment même la comparution le contenu de son jugement. Il en ira de même des autres intervenants, les percepteurs, par exemple, qui disposeront d'un accès direct aux fichiers électroniques leur permettant de traiter à leur niveau ces affaires de façon extrêmement efficace.
La réalisation de ces changements supposent, comme on le devine, certains changements au cadre législatif et réglementaire. La ville de Montréal a donc entrepris les démarches appropriées afin que le Code de procédure pénale soit modifié pour lui rendre possible cette forme particulière de transactions électroniques.
Les demandes de la ville de Montréal ont amené le ministère de la Justice du Québec à présenter à l'Assemblée nationale le projet de loi 92, intitulé Loi modifiant le Code de procédure pénale. Le projet de loi comporte plusieurs éléments, seuls ceux relatifs au traitement électronique des documents nous intéressent ici. Sommairement, selon les notes explicatives du projet de loi, les modifications demandées permettront de :
[...] dresser et de signer de façon électronique des documents, y compris des constats d'infraction, des rapports d'infraction et tout autre acte de procédure, ou de reproduire sur support électronique des documents dressés sur support papier. De tels documents pourront notamment être produits en preuve et le juge et les parties pourront agir sur la base de ceux-ci.[19]
Le projet consistait à faire en sorte que les transactions associées à la complétion d'un dossier immobilier résidentiel, qu'il s'agisse des aspects juridiques ou financiers, soient effectuées par EDI. La majorité des échanges qui se déroulent dans ce processus se réalisent entre les bureaux de la publicité foncière, les institutions financières et le notaire. Le mouvement Desjardins, qui détient une part importante du marché hypothécaire dans le domaine résidentiel au Québec, s'est associé au projet de même que la Direction générale de l'enregistrement du ministère de la Justice. Comme site du projet pilote, les partenaires ont choisi une petite localité reconnue pour son ouverture face aux nouvelles technologies, la ville d'Arthabaska, dans la région de Victoriaville, là même où le mouvement Desjardins avait testé, il y a quelques années, la technologie des guichets automatiques.
Sept (7) des quatorze (14) études notariales de la ville, quatre caisses populaires Desjardins ainsi que le Bureau de la publicité des droits de la localité participèrent donc au projet. Afin de pallier les nombreuses incertitudes juridiques liées à une telle expérience, qui se déroule malgré tout dans la réalité, c'est-à-dire avec des sommes d'argent réelles, on a convenu d'encadrer l'ensemble du processus par une "convention parapluie". Cette convention vise, selon les termes de Me Claude Perreault de la Chambre des notaires du Québec, à :
[...] établir [entre les partenaires] leurs droits et obligations respectifs, délimiter l'étendue de leurs relation d'affaires, préciser les aspects techniques et fonctionnels de leurs relations commerciales, décrire l'aspect opérationnel du réseau et dissiper bon nombre d'interrogations au niveau de la preuve[21]
Quatre types de transactions étaient effectuées par EDI: les transactions concernant l'acte de vente, l'acte d'hypothèque, l'acte de quittance (tous des actes authentiques) et finalement le paiement électronique. On a donc développé les "formulaires" nécessaires à l'échange de données standardisées entre les notaires et les autres partenaires suivant la syntaxe de la norme ANSI ASC-X.12[22]. Les communications entre les partenaires ne se faisaient pas directement. Elles s'effectuaient par l'entremise d'un réseau à valeur ajoutée (RVA) [23], Inforéseau de IBM Canada Ltée.
La transmission des actes authentiques au bureau de la publicité foncière posait toutefois un problème. En effet, pour les fins d'enregistrement, il est nécessaire de produire l'acte authentique au bureau de la publicité foncière mais la copie qui parvient par EDI ne porte évidemment pas les signatures requises. On a donc prévu, dans la convention cadre entre les notaires, qu'un notaire serait en permanence au bureau d'enregistrement et qu'il serait mandaté pour authentifier les documents qui lui seraient transmis par EDI. Son mandat était précisément définit dans la convention; le rôle du notaire au bureau d'enregistrement était confiné à celui de porte plume et la responsabilité professionnelle dans ces conditions était assumée par le notaire "émetteur". Voici, de façon schématique, les résultats du projet pilote d'EDI que nous venons de décrire[24].
Résultats du projet pilote d'EDI
Processus Papier Processus EDI Honoraires 800$ (100%) 800$ (100%) Frais 480$ ( 60%) 440$ ( 55%) d'administration Bénéfices bruts 320$ ( 40%) 360$ ( 45%) Temps requis 10 heures 5 heures Taux horaire 32$/heure 72$/heureOn remarque qu'un gain important de productivité a été enregistré; le temps requis pour le traitement des dossiers a été réduit de moitié! Si l'on tient compte de la diminution des frais d'administration, le bénéfice horaire a plus que doublé. Cependant la performance obtenue est probablement inférieure à ce à quoi on pourrait s'attendre à long terme. En effet, au cours du projet pilote on a dû former le personnel et celui-ci a dû apprendre à se familiariser avec la technologie. Il s'agit là d'une situation bien connue en intégration technologique; au départ, la productivité ne peut être maximisée car il faut prendre le temps de former les ressources humaines de même que de s'adapter et d'adapter le système.
Suite à ce projet, la Chambre des notaires a organisé une tournée d'information auprès de ses membres à travers l'ensemble du Québec. Elle les a ensuite questionnés sur l'opportunité de poursuivre le développement de l'EDI; plus de 90% des membres interrogés s'y sont déclarés favorables.
Chez VLA, environ soixante-dix huissiers, répartis un peu partout sur le territoire du grand Montréal, ont été dotés d'ordinateurs portatifs et d'un système de transmission sans fil Bell Mobilité Ardis, de façon à ce qu'ils soient en contact constant avec l'ordinateur central de l'entreprise. Bien qu'à l'étape actuelle, les huissiers doivent toujours se présenter au bureau pour prendre possession des documents à signifier, les moyens de communication transforment passablement l'exercice de leur fonction.
Ainsi, une fois la procédure signifiée, l'huissier rédige son procès-verbal sur son micro-ordinateur et lui appose sa signature par des moyens électroniques. Une signature laser a été développée à partir de la signature manuscrite du huissier; on l'a numérisée et emmagasinée dans la mémoire de son ordinateur. Lorsque l'huissier termine son procès-verbal, il l'envoie à la centrale avec cette "signature électronique". Le système interdit de plus que l'on signe électroniquement deux fois un même procès-verbal. S'il y a erreur, elle devra être corrigée au bureau. Ce procédé a été conçu afin de fournir un minimum de sécurité quant à l'authenticité de l'émetteur. La valeur juridique de cette signature n'a pas encore été éprouvée formellement devant les tribunaux[25].
L'un des premiers avantages de l'EEDIJ est de permettre, par contraste avec la situation qui prévaut dans un environnement papier, une plus grande disponibilité de la documentation juridique. Le choix de document électronique favorise la mise sur pied de babillards électroniques publics et de banques de données sécurisées, pour les juristes et le public en général afin que tous bénéficient d'un accès rapide et fiable à ce type d'informations[27].
Par ailleurs, l'utilisation de systèmes de communications unifiés et universels, propres à l'EEDIJ, autorise l'interaction directe des différents intervenants juridiques, publics et privés et des différents ordres juridictionnels locaux et étrangers. Il en résulte un partage rapide, efficace et utile de l'information, et ce, à un coût minimal[28]. Il convient en effet de noter que l'universalité et la polyvalence des systèmes sous-jacents à l'EEDIJ permettent aux intervenants concernés de conserver les installations informatiques en place, et ce, sans craintes d'incompatibilité de communication entre les différents systèmes informatiques actuellement disponibles sur le marché.
Plus important encore est le fait que le public en général bénéficie également d'un accès à l'information accrue par la simplification des démarches d'accès qui se font alors directement, de façon informatisée, sans intervention humaine. Ce mode d'accès est non seulement plus rapide que celui qui prévaut dans un environnement papier, mais également plus efficace en ce qu'il permet d'accéder à une documentation facilement réutilisable.
Cette maniabilité des documents informatisés constitue en fait le second grand avantage de l'EEDIJ. Les documents réalisés dans un format électronique sont effet très maniables. Ils peuvent être copiés aisément, en tout ou en partie, directement dans le système informatique de l'utilisateur. Ces documents peuvent par la suite faire l'objet de recherches automatisées dont la précision ne peut être envisagée hors d'un cadre informatique.
La maniabilité des documents informatisés se reflète également au chapitre de la gestion des documents. Outre les bénéfices évidents qui résultent de la réduction du volume de documents papier, l'EEDIJ permet également une gestion documentaire efficace. Les documents électroniques peuvent être "manipulés" automatiquement par un système informatique - 24 heures sur 24-. Différentes opérations de traitement, comme l'ajout d'une décision à une banque de données et la modification du registre de cette banque, peuvent alors s'effectuer automatiquement.
À ce stade, notons cependant que la flexibilité de traitement et de communication des documents informatisés ne signifie pas pour autant que ceux-ci ne sont pas sécuritaires. Alors que l'erreur humaine est toujours possible dans la manipulation de documents papier, celle-ci est réduite au minimum dans un système d'EEDIJ. Il est vrai que ce type de risques est remplacé par les risques inhérents à la manipulation de données informatisées. Néanmoins, les technologies disponibles assurent à l'EEDIJ un niveau de sécurité inégalé, en tout cas nettement supérieur à ce qui existe dans un environnement papier. Ainsi, au chapitre de l'authentification, il est utile de rappeler qu'aucune forme de signature n'est parfaitement sécuritaire. La signature manuscrite n'offre en elle-même aucune garantie formelle quant à l'identification. Au-delà du problème des fraudes, la vérification de l'authenticité d'une signature manuscrite s'avère parfois difficile puisque la signature d'un individu peut varier grandement dans le temps ou simplement d'un document à l'autre.
Le degré de sécurité des procédés de signature électronique peut quant à lui être porté à des niveaux inimaginables dans un contexte papier. Des procédures et des contre-procédures de vérification accrues, effectuées par des systèmes informatiques, permettront d'obtenir un degré de sécurité bien plus élevé que celui d'une simple signature manuscrite. Dans cette optique, les procédés de signature électronique basés sur la cryptographie asymétrique, dite à "clés publiques", font aujourd'hui l'objet d'une utilisation courante. De surcroît, ces systèmes présentent, outre l'identification formelle des parties, d'autres fonctionnalités fort intéressantes dont nous traiterons plus en détail dans une prochaine section.
Les bénéfices et possibilités que nous venons de mentionner ne sauraient évidemment se réaliser sans que les aspects juridiques et techniques de cette mise en oeuvre n'aient été soigneusement évalués. La prochaine section de cet exposé se veut une amorce de réflexion sur la forme que devrait prendre le cadre général de l'échange informatisé d'informations juridiques au Québec. Comme nous l'avons mentionné auparavant, une brève discussion du cadre juridique est suivie d'une description de deux éléments plus techniques fort importants, la signature électronique et la norme d'échange SGML.
Pourrait-on prétendre que l'emploi du mot "télécopieur" aux art. 140.1, 146.01 et 146.02 C.p.c. ne s'applique pas aux fax/modem? C'est fort peu probable puisqu'une telle interprétation produirait des effets de nature à rendre l'utilisation pratique de ces dispositions inutile. En effet, que se produirait-il si l'émetteur envoie par télécopieur une signification qui est reçue sur une carte fax/modem par le destinataire? Comme nous l'avons mentionné auparavant, une interprétation restrictive du mot "télécopieur" aurait pour effet de rendre la signification invalide lorsque l'une des parties reçoit ou émet un document par fax/modem. Il est difficile d'imaginer que le législateur, en autorisant la signification par télécopieur, ait voulu la rendre à la merci du type de télécopieur du destinataire - l'émetteur n'ayant généralement pas intérêt à ce que sa signification soit invalide opterait quant à lui pour le télécopieur conventionnel.
De plus, comme nous l'avons souligné auparavant, le pas majeur a été franchi : l'admission de la signification par télétransmission impliquant une dématérialisation du document. En ce qui a trait à la preuve, il est difficile de voir en quoi la signification par échange électronique, que ce soit par liaison directe ou par un intermédiaire tel qu'un réseau à valeur ajoutée, serait moins sécuritaire que la signification par télécopieur conventionnel. Dans les deux cas, une preuve de la date, de l'heure, du nombre de pages envoyées et à l'intention de qui, est possible. La fiabilité ou l'assurance avec laquelle on peut se fier au bordereau de transmission d'un envoi par EEDIJ est certainement égale ou supérieure à celle d'un envoi par télécopieur traditionnel. En effet, la date ainsi que l'heure inscrite dans le système d'un ordinateur peuvent être changées facilement, tout comme celles d'un télécopieur. Par contre, dans l'hypothèse où un tiers sert d'intermédiaire entre l'émetteur et le destinataire, tel que par exemple dans le cas d'un réseau à valeur ajoutée, l'authenticité des dates et heures d'envoi et de réception est assurée, ce qui augmente la sécurité et la confiance que les parties peuvent avoir dans ce type de signification[32].
Il semble bien que même dans l'éventualité de l'implantation d'un système d'EEDIJ au niveau judiciaire en général, on ne puisse penser permettre la signification du bref directement au défendeur par EEDIJ. Étant donné qu'il s'agit d'une procédure introductive d'instance et qu'il n'y a généralement pas de procureur au dossier. Par ailleurs, même si on amendait le Code de procédure afin de permettre la signification par échange électronique directement au défendeur, il n'est pas du tout certain que le défendeur serait doté de l'infrastructure adéquate pour prendre part à cet échange d'information. En effet, en ce qui a trait ces derniers, il s'agira dans la plupart des cas de personnes (physiques ou morales) n'oeuvrant pas dans le domaine juridique et par conséquent non équipé d'infrastructures compatibles avec les standards proposés pour l'EEDIJ. Quoiqu'il en soit sur ce dernier point, les mêmes principes qui ont poussé le législateur à ne pas autoriser la signification d'actes de procédure introductifs d'instance par courrier ou par télécopieur semblent s'appliquer à l'échange électronique : la solennité de l'introduction d'instance qui informe une personne qu'une action est dirigée contre elle et qu'il lui faut agir en conséquence semble l'exiger.
Par contre, étant donné que l'art. 82.1 C.p.c. permet la signification par télécopieur par l'entremise d'huissier, donc sans que ce dernier ait en sa possession l'original, la copie reçue tenant lieu d'original pour les fins de signification et de production au greffe, il semble bien qu'il n'y ait pas d'obstacle de principe à une signification du même type par échange électronique.
Malgré la brièveté de l'analyse, il semble tout de même permis de penser que l'arrivée de l'EEDIJ dans le paysage de la procédure civile québécoise n'entraînera pas de bouleversements majeurs aux niveau des principes qui la régissent. La signification de documents ayant fait l'objet de dématérialisation est en effet déjà reconnue dans le code.
Dans le contexte actuel, afin de débuter une action civile, Me Lactuel rédige une déclaration qu'il joindra au bref qui lui sera délivré par le greffier. Il se rend donc au greffe où, après qu'il ait acquitté les frais et que le greffier ait apposé les timbres constatant le paiement, on lui délivre le bref. Une copie du document est conservée à la cour. On entrera alors l'information pertinente au plumitif de la cour.[34] Me Lactuel doit alors signifier à la partie adverse le bref et la déclaration. Il confie donc aux huissiers NONINFORMAT & Associés cette tâche. Muni de deux copies, dont l'original, l'huissier se présente à la résidence du défendeur et lui remet une copie du bref et de la déclaration. Il prépare alors un procès verbal de la signification à l'endos d'une copie du bref qu'il renvoie alors à Me Lactuel. Ce dernier déposera éventuellement ceux-ci à la cour.
Dans un contexte d'EEDIJ, on peut imaginer que tout ce processus serait considérablement écourté et éviterait déplacements et retranscriptions. Ainsi, Me Lavenir, plutôt que de se déplacer au greffe ou d'envoyer un représentant comme le fait son confrère Me Lactuel, n'aurait alors qu'à envoyer au greffe, par échange électronique, un "formulaire" électronique standardisé où l'information nécessaire à l'émission d'un bref serait contenue. Nous aborderons plus loin les questions d'encryptage et de signature électronique, mais rappelons au passage que la technologie permettant de garantir avec un très haut degré de certitude et de sécurité l'identité de l'émetteur et du destinataire existe[35]. Cette technologie est également au coeur du télé-paiement et des économies qui y sont associées pour l'administration en garantissant que c'est le bon compte qui est débité. Ainsi, le paiement des frais de justice devrait également se faire de manière électronique dans un tel contexte. Donc, une fois la demande d'émission de bref reçue au greffe, le système, après avoir vérifié si toute l'information nécessaire s'y trouve, délivre le bref. On peut imaginer qu'une des informations requises serait le nom de la firme d'huissiers avec qui l'avocat désire faire affaire, ce qui permettrait au système d'envoyer directement au huissier une copie électronique du bref et l'ordre de le signifier au défendeur. Celui-ci se rendrait alors chez le défendeur pour lui signifier la procédure comme il le fait actuellement. Son procès verbal pourrait alors être transmis directement à Me Lavenir et à la cour par EEDIJ.
Ensuite, comme nous l'avons mentionné auparavant, on peut penser que l'instauration d'un système à clés publiques dans un contexte d'EEDIJ permettrait l'échange de documents juridiques d'une façon sécuritaire et fiable. Et ce, même sur un réseau ouvert comme l'Internet. Ceci nous amène donc à une autre considération technique importante, qui a trait à la norme d'échange d'information.
En effet, la première dissémination importante du SGML a fait suite à un projet d'échange d'information mis sur pied par le Pentagone dans le cadre du projet nommé JCALS (Joint Continuous Acquisition and Lifecycle Support[38]). Il s'agissait alors de permettre à l'information associée au matériel militaire de circuler en format SGML à l'intérieur des forces armées et aussi, bien sûr, entre elles et leurs fournisseurs. Ce projet a fait école. Par la suite, des secteurs industriels entiers ont adopté le SGML à des fins similaires. Les compagnies aériennes et l'industrie automobile ont élaboré des DTD s'appliquant tant à leur production de documents et de manuels d'entretien, qu'à leurs appels d'offre, et à leurs soumissions. Aujourd'hui bien d'autres groupes[39] et organismes gouvernementaux[40] utilisent le SGML.
Pour comprendre l'intérêt du SGML, il faut d'abord constater que tout document comporte implicitement trois types d'information: des données, une structure et des directives de formatage. Les données peuvent être de plusieurs types: du texte, des tableaux, des graphiques, des images et même des objets multimédias, audio et vidéo. Certaines données peuvent ne pas paraître sur la page imprimée, comme par exemple des annotations relatives aux révisions, ou des suggestions de modifications. La structure exprime les relations entre les divers éléments du document. Le format conditionne l'apparence du document : polices de caractères, marges, espacements, mise en page. Le SGML reconnaît, exprime et exploite ces distinctions : il permet de préserver le contenu et la structure sans spécifier de format, laissant l'optimisation de ce dernier à des processus de traitement qui se réaliseront au moment de la livraison et selon les besoins des clientèles spécifiques.
Le deuxième élément du document SGML est la DTD ou définition de type de document qui définit la structure logique du document. Cette déclaration exprimée dans un langage formel. Elle figure en entête du document ou encore elle est, elle aussi, simplement évoquée pour que le logiciel lecteur puisse la retrouver. Cette définition détermine les éléments acceptables pour ce type de document et leur combinaisons autorisés. Il s'agit en quelque sorte d'une description abstraite d'une classe de documents. Elle peut être plus ou mois fine, en ce sens, que le niveau de détails peut varier énormément d'une DTD à l'autre et même d'une partie de la DTD à l'autre. Son rôle est double, d'une part, elle contraint plus ou moins strictement les formes acceptables d'un document, tandis que, d'autre part, elle permet d'identifier la structure du document pour l'exploiter. Une DTD particulière pourra, par exemple, spécifier les rubriques d'un document devant obligatoirement être remplies.
Bien que formellement toutes les DTD répondent aux mêmes critères, on peut distinguer différents niveaux de DTD, selon les usages qui en sont faits. Diverses organisations développent des DTD très particulières pour répondre à des besoins spécifiques, mais au même moment de très grandes organisations entreprennent la préparation de DTD très générales. Ainsi l'AAP (American Association of Publishers) a été l'une des premières à créer sa DTD, qui couvre l'ensemble des besoins en édition commerciale, ses membres utilisant depuis longtemps un langage d'annotation manuelle indispensable à leur travail. D'autres projets de ce type sont en cours. Il va de soi que les DTD produites dans ces contextes sont fort générales.
On peut associer des attributs aux balises pour qualifier le texte qu'elles délimitent. Les valeurs que peuvent prendre ces attributs auront au préalable été définies lors de la préparation de la DTD. Un attribut de langue pourra par exemple spécifier que la langue d'un paragraphe ou d'une citation n'est pas celle du document - la valeur par défaut de l'attribut - mais une langue étrangère, l'italien ou l'allemand, par exemple. Par la suite, on pourra exploiter cet attribut pour repérer les citations en langues étrangères dans un document ou un corpus entier.
Comme un texte ainsi enrichi peut devenir difficile à lire, les logiciels de lecture dissimulent généralement ces balises tout en s'en servant pour rehausser la présentation du document. En fait, la norme SGML peut être rendue invisible à l'utilisateur dans le contexte d'une application concrète. Il est désormais possible que, tout au long de la chaîne de production et d'utilisation d'un document, ce soient les logiciels qui gèrent et exploitent de façon souvent transparente la structure du document, sans que l'usager n'ait à maîtriser le langage ou l'ensemble détaillée des concepts associés au SGML.
Lorsque l'on envisage l'utilisation du SGML pour l'échange électronique d'informations juridiques, deux stratégies sont envisageables. Il est possible que soient élaborées en concurrence diverses DTD spécialement adaptées aux besoins des intervenants. Dans un tel contexte, il sera possible de convertir le document balisé à l'aide d'une DTD spécifique vers une autre DTD, celle utilisée au greffe. Il est également possible que des DTD plus générales d'échange s'élaborent progressivement au sein d'organismes de concertation. Cette deuxième solution est évidemment souhaitable. Si c'était le cas, il faut noter qu'en autant qu'une DTD particulière soit un sous-ensemble d'une autre plus générale, le document balisé avec la DTD particulière pourra être lu par un logiciel ayant accès à la DTD plus générale.
La première de ces conclusions est que les projets les plus spécifiques et limités sont de loin les plus avancés, et ce, qu'il s'agisse d'expériences américaines ou québécoises. Par exemple, en Idaho et au Delaware, les systèmes étudiés fonctionnent bel et bien et produisent, à l'heure actuelle, des bénéfices concrets. Par contraste, dans l'Utah, l'on en est encore à tirer les leçons du projet pilote. En soi, il n'y a là rien d'étonnant puisqu'il est évidemment bien plus simple d'élaborer un cadre particulier destiné à répondre à certaines interrogations spécifiques que de se doter d'une architecture générale. Il est dès lors permis de se demander si les solutions adoptées dans un cadre spécifique sont applicables à une architecture générale. Il nous semble qu'il faille répondre à cette question par la négative. Les solutions élaborées pour certains cas d'espèce apparaissent en effet à la fois trop hétérogènes et trop limitées. Il faut donc se tourner vers l'élaboration de paradigmes plus généraux qui, s'ils sont plus difficiles à concevoir, peuvent seuls permettre de créer le cadre d'échange recherché.
L'EDI actuellement pratiqué dans le monde commercial résulte d'un tel effort. Néanmoins, la transformation pure et simple de l'architecture d'EDI commercial ne saurait satisfaire les impératifs de l'EDI juridique. Comme le remarque Asay, les documents échangés dans la sphère juridique sont plus complexes que ceux utilisés dans les échanges commerciaux. En matière commerciale, les partenaires ne s'échangent en fait que des données et le cadre défini par les normes d'EDI épouse bien les contours de ces messages. En droit, nous devons nous astreindre à la même recherche d'une solution informatique adaptée au type de documents devant être transmit. Or, ces documents ne sont pas constitués que de données, même s'ils en contiennent.
C'est probablement du côté du SGML que ce trouve l'enveloppe informatique la mieux adaptée au contexte. En effet, le SGML permet de concilier la nécessaire normalisation des formes avec la souplesse et la richesse nécessaires à nos échanges. Nous croyons donc extrêmement utile le développement d'études pour permettre l'élaboration des définitions de fichiers (DTD) qui pourraient servir de normes d'échange à l'aide du SGML. Nous explorerons cette voie au cours des prochains mois.
Un autre élément de la solution EDI doit encore être questionné. Les membres des conventions d'EDI ont fréquemment favorisé l'utilisation de réseaux à valeur ajoutés (VAN). Le développement récent des inforoutes, illustré par la croissance de l'Internet, nous semble offrir une alternative extrêmement séduisante. À ce point, il faut rappeler l'existence de technologies capables d'assurer la sécurité des transactions dans de tels environnements ouverts. Ces deux éléments, le développement d'espaces informationnels publics et la technologie de chiffrage à clés publiques, permettent d'envisager la conduite de transactions protégées au sein d'un réseau ouvert. Pourquoi alors s'imposer le fardeau économique de réseaux privés qui trouvaient mieux leur justification il y a quelques années.
En définitive, les enjeux que suppose l'implantation de l'EEDIJ sont fondamentaux : meilleur accès à la justice, amélioration des délais de procédures, consolidation de l'indépendance et augmentation de la confiance du public dans le système judiciaire. Il s'agit là d'enjeux qui ont, à ce jour, conditionné la mobilisation d'une grande partie de la communauté juridique de la France, des États-Unis, et de plusieurs autres pays.
Un frein important au développement de l'EEDIJ est bien entendu le fait qu'en l'absence de concertation, les différents intervenants (cabinets d'avocats, huissiers, etc.) attendent avant d'investir des sommes importantes que des standards soient développés et qu'ils soient assurés qu'un grand nombre d'entre eux les utiliseront. Un développement unilatéral ne donnerait rien, évidemment, puisque l'essence de l'EEDIJ est l'échange de données, ce qui suppose l'existence de partenaires.
La présence de réseaux ouverts tels que l'Internet, le développement de la signature électronique, la présence de normes d'échange tels que le SGML et finalement l'absence de problèmes juridiques majeurs, du moins au niveau conceptuel, nous amènent donc à constater que les outils permettant la mise en place d'un système d'EEDIJ efficace, sécuritaire et ouvert existent. Divers éléments demeurent tout de même à préciser et à étudier plus en détails mais la voie semble tout de même ouverte à la mise en oeuvre prochaine d'échanges électroniques d'informations juridiques.
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